Triste "marque France".
C’est l’expression du moment. Le remède à la crise. La panacée nationale. L’Austerlitz de la pensée marketing. A croire que nous ne savions rien, attendant sans le savoir la révélation ultime des petits génies de la communication parisienne, prêts à sauver notre pays du désastre entre un after poudré à la Concrete et une séance de muscu au club Med gym République. Et dire que nos économistes s’ennuyaient encore à débattre des bienfaits de leurs modèles, sans se douter de la solution miracle bientôt approuvée dans les salons ministériels, et enfin livrée au bas peuple absurdement dubitatif, comme devant toute grande avancée de l’histoire par ailleurs : la « marque France. »
Ah, que l’idée était belle ! Comme on la remerciait cette cohorte de jeunes hommes à la barbe de trois jours ayant accouché de la brillante trouvaille ! De vrais héros, relayés par de triples buses. Et il fallait les voir ceux-là, engoncés dans leurs mal être sondagier, penauds de huit mois d’annonces malheureuses, tout fiers de sortir ce lapin incongru de leur chapeau. Les beaux ministres que nous avions là ! Huit ans d’étude pour en arriver à ce point. Science po, l’ENA, des concours tout le tour du bras, administrateurs de l’assemblée ou du Sénat, députés des années durant, maires, conseillers généraux, que sais-je encore…
Et l’on se fendit même d’un site, afin de demander son avis au bon peuple. En guise d’incipit, la phrase suivante : « Participez à la construction d'un récit économique pour notre pays en répondant à une consultation sur la marque France. » Et pourquoi pas ? Si Laurence Parisot avait gagné la palme il y a quelques années en déclarant que dans un monde où tout était précaire, « même l’amour », elle ne voyait pas pourquoi le travail ne le serait pas lui aussi, rien n’empêchait notre gouvernement de procéder à un même type de syllogisme : Dans un monde où tout s’achète, pourquoi laisser la nation en dehors du grand champ économique ?
La France et ses trésors, ses châteaux et ses peintres, ses auteurs, sa culture urbaine, sa gastronomie et ses paysages, ses révolutionnaires, ses philosophes et ses penseurs : tous en rang derrière la « marque France ». Sartre, NTM, Francois Villon, Maurice Chevalier et la Mano Negra, pareil ! De Lascaux à Daft Punk en passant par les très riches heures du Duc de Berry, la conquête de l’Amérique et la colonisation. La grandeur et la décadence dans le même panier, pour finir de faire du pays un musée. Les bourgeois de Calais, Alesia et la rue Lauriston, tous ensemble ! Vivement les produits dérivés officiels, la série et ses spin-offs, la peluche Marianne au rayon “République” de nos supermarchés.
Pendant ce temps-là, dans le pays réel, loin des délires des communicants, de petites entreprises au savoir-faire parfois plusieurs fois centenaire mettent la clé sous la porte, faute souvent de soutien des banques ou de compréhension de leurs problèmes spécifiques par l’Etat. A défaut d'idées révolutionnaires pour sortir notre pays de la crise, celui-ci ferait donc mieux de s’intéresser au maintien de ce tissu économique devenu substantiel dans notre pays, mais qui fait plus pour sa réputation que n’importe quel plan de communication à 25 ans.
Il y a quelques mois, l’un de nos fournisseurs, la société "Faglin", dernière entreprise française à maîtriser le processus de fabrication traditionnel des boutons de manchette, a ainsi fermé dans l’indifférence générale, emportant son savoir-faire et ses vieilles ouvrières avec elle. Mais que tous se rassurent : dans le cadre de la réflexion sur la « marque France », le ministère de l’Industrie vient de proposer de faire évoluer le label « entreprise du patrimoine vivant », auquel sont rattachés plusieurs de nos fournisseurs, en « Meilleur entreprise de France. » Nous sommes sauvés.
Valentin Goux
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