Le monde d’hier.

Monsieur LondonIl n’y a bien que les vieilles nations pour faire preuve d’une capacité d’emmerdement maximum avec l’air de se tamponner royalement des conséquences. Le syndrome du grand frère bourré. Les britanniques ont votés out, et il flotte comme une impression de fin d’époque. Celle où Londres fut la capitale du monde, à nouveau, pour quelques années. Il est d’ailleurs étonnant que tous les nostalgiques de l’Empire n’aient pas vu qu’ils s’apprêtaient à mettre fin à la matérialisation concrète de leur rêve. Il est vrai que celui-ci n’avait pas la couleur des uniformes des lanciers du Bengale, ni le gout de la quinine. Mais être la capitale d’un empire ouvre vos portes aux hordes de barbares venus mélanger leur pauvre culture à la vôtre, pure et couverte de sauce à la menthe, c’est ainsi. On ne fait pas de grande puissance sans étrangers, pas plus à Londres en 2016 qu’à Istanbul en 1918 ou à Paris en 1950.

Il restera le souvenir de quelques années d’entre soi cosmopolite, l’universalisme du lounge Eurostar. Une population à l’image de l’Europe, les jeux olympiques, des soirées électorales entre cuite et larmes avec des copains grecs, le jubilé de la reine, des litres de bière tiède, le mariage princier, des barbecues dans les parcs, la naissance de l’héritier de la couronne, des promenades en bateau sur les canaux d’Uxbridge. Et la réminiscence fugace de cette impression étonnante d’étirement des possibles, comme un parfum fané. Shoreditch comptant plus d’entreprises technologiques au mile carré que la silicon Valey, des invitations dans les cocktails à Savile Row, des copines jouant dans Games of Thrones, des bonus chaque années plus importants s’accumulant autour de soi. Et le reste de l’Angleterre, loin des yeux, certainement.

Monsieur London est le fruit de ce moment si particulier de l’histoire anglaise. Une marque créée par deux français à Londres, lancée sur Internet et poursuivie depuis quatre ans dans une ambiance entrepreneuriale intense, avec notamment l’aide de fonds européens alloués aux entreprises de l’industrie créative. Des subsides qui ont servis aussi à des dizaines d’autres projets dans la mode, la musique et l’art, dans les quartiers de l’East London où une large partie des populations continue à être défavorisée. Pas la peine de se demander ce qu’il restera dans la caisse pour les jeunes qui souhaitent lancer leur boite d’ici quelques années sans l’aide d’un père Etonian et d’une mère comtesse…

 Il ne nous appartient pas de faire des pronostics économiques sur la pertinence de la voie de garage choisie par le pays. Mais nous pouvons au moins émettre un avis esthétique sur les chaussures Union Jack de Nigel Farage. Celles-ci sont très laides, et elles le seront encore plus lorsque le drapeau aura perdu sa croix blanche et son fond bleu. Restera un peu de blanc et de rouge, comme sur une scène de crime. Quitte à porter l’Union Jack, on préfère de très loin le manteau de Bowie désigné par Alexander McQueen sur la pochette de l’album Earthling. C’était en 1997, l’époque du « cool Britannia », résurgence d’une exubérance pop fière de ses origines et ouverte au monde. Un jeu de mot aussi sur la vieille chanson patriotique « Rule, Britannia !»…  Vingt ans plus tard, il semble que les anglais préfèrent finalement l’originale.  

Valentin Goux