Le seersucker, étoffe estivale par excellence.
Imaginez-vous dans le sud de la Georgie. La voix familière de Ray Charles sort d’un vieux transistor. Un panama orne votre tête, et vous vous balancez sur chaise à bascule en osier. Le fauteuil oscille doucement sur le palier de la vieille demeure blanche en bois peint, dont quelques planches craquent sous les assauts du soleil. Sur une table à côté, un verre de Mint Julep glacé laisse perler quelques gouttes d’eau jusqu’au sol. La chaleur plombe les champs alentour.
Vous imaginez vous porter un costume en laine, même fine, dans un tel environnement ? Certainement pas. Et ça tombe plutôt bien, car les gentlemen du sud des Etats Unis sont comme vous : mourir de chaud lors d’une garden party leur semble une fin trop absurde pour tenter l’expérience. C’est pourquoi, depuis plusieurs siècles, ceux-ci portent des costumes en seersucker. Une étoffe légère, aérée et néanmoins élégante.
Importé par les anglais au temps de leur empire colonial, comme beaucoup d’autres jolies choses de notre vestiaire, le seersucker est un tissu originaire du nord du sous-continent indien. Il présente un aspect gaufré, et naturellement rayé. La raison de ce style particulier : une manière à part de tisser l’étoffe. Les fils de coton sont ainsi assemblés de façon à créer un effet froissé, faisant du tissu une succession de rayures, l’une lisse, la suivante en relief. C’est d’ailleurs cet aspect qui lui a donné son nom en Hindi-ourdou, « kheer aur shakkar », ce qui signifie «lait et sucre ». Facon poétique de signaler la différence de rendu. Plus doués en mode qu’en langues étrangères, les anglais se l’approprièrent en le transformant en « Sea sucker », puis « Seersucker ».
Aéré naturellement grâce à son aspect qui l’empêche de coller à la peau, l’étoffe s’impose vite parmi les buveurs de gin tonic de la compagnie anglaise des indes orientales, puis des sujets de l’empire des Indes. Il est vite introduit dans le sud des Etats Unis, ou les classes laborieuses du sud se l’approprient. La région ne manque pas de coton, ni de main d’œuvre, et la chaleur rend son utilisation très agréable. Dans les années 20, quelques étudiants hipsters d’avant l’heure se mettent à porter des vêtements en « Seersucker », pour revendiquer l’habit prolétaire et choquer les bourgeois. Un peu comme si Sartre avait débarqué rue d’Ulm en bleu de travail…
Gregory Peck dans le rôle d'Atticus Finch, dans le film de Robert Mulligan "To kill a mockingbird"
Quoi qu’il en soit, le tissu devient dès lors un essentiel du style preppy, qui se définit au même moment dans les écoles de l’Ivy league du nord-est américain. Le sud se met alors à revendiquer son tissu, toutes classes sociales confondues. Pour fêter leur costume estival, les sénateurs des Etats méridionaux décident même dans les années 90 de l’adoption d’un Seersucker Thursday. Chaque année en juin, ceux-ci sont ainsi encouragés à venir siéger au Sénat revêtu de leur costume « national ».
Désormais reconnu comme le costume du « southern gentleman » par essence, le tissu a pourtant échappé au pire : il y a quelques mois, un élu du Missouri a essayé de le faire interdire dans l’Etat aux personnes de plus de 8 ans. Un amendement assez fumeux introduit dans une loi locale par pure haine du « Seersucker », et évidemment rejeté par le législateur. L’histoire ne donne pas les raisons précises de cette tentative incongrue…
De notre côté de l’Atlantique, l’étoffe a mis un peu de temps à se faire connaitre, mais elle est désormais plébiscitée par les élégants estivaux. Un costume dans ce tissu, ou même une veste portée avec un chino, est une parfaite alternative au costume en laine lors des diverses occasions de réjouissance champêtre qu’offrent en général les été français. Aérée, ne collant pas au corps, et permettant d’être souvent lavée sans nécessiter de repassage, le « Seersucker » est un incontournable. A porter avec une fine cravate en tricot, ou même un nœud papillon pour un effet plus décontracté.
F.McKenzie
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