Romain Duris, génération bohême

Romain DurisAu commencement était la gouaille. Version moderne du titi, Romain Duris apparait sur les écrans en 1994, promenant sa tronche de gamin défoncé à l’herbe sur le bitume parisien du Péril Jeune. Une fable urbaine déconcertante, terriblement en accord avec son temps, nihiliste et tragique. Un instantané de la jeunesse des années 70 renvoyant à celle des années 90, dégageant malgré la période choisie pour y placer l’action une émotion grunge en accord avec l’année de sortie du film, celle de la mort de Kurt Cobain. Chevelu, emmerdeur, narquois, insupportable et fragile, Romain Duris apparait tel qu’il est, un adolescent du Paris d’après la crise, sourire ironique vissé aux lèvres, et qui n’a pas tellement envie au départ de tourner ce film, confesse-t-il lors de sa première audition en 1993, parce qu’en Aout… il a « des copains à voir ». Et puis la scène commence, et le naturel de l’étudiant goguenard explose à l’écran. Tomasi est né.

Ce rôle, il mettra quelques temps à en sortir. Tournant souvent avec Cédric Klapisch, qui l’a découvert, il donne l’impression aux spectateurs de grandir avec eux,  reflétant sur grand écran l’expérience d’une génération entière; lycéen à ses débuts dans « Le péril jeune », étudiant paumé dans « L’auberge espagnole », jeune travailleur dans « Les poupées russes ». Mais petit à petit la gouaille s’estompe, le trait se fait plus délicat, l’acteur affleure lentement sous le personnage. En finesse. D’autres rôles lui permettent d’élargir son champ, de mettre son jeu au service de nouvelles émotions, notamment lorsqu’il tourne « De battre mon cœur s’est arrêté » sous la direction de jacques Audiard, ou encore«L'homme qui voulait vivre sa vie» d'Eric Lartigau. Fini d’être abonné aux rôles générationnels, Romain Duris est devenu un grand nom du cinéma français.  Aujourd’hui à l’affiche de « Populaire », comédie grand public, il endosse le rôle d’un patron des années 50, complet veston cravate fine et Citroën compris.  Un style à la « Mad Men », éloigné de son image publique du trentenaire parisien avec qui on passerait des journées à boire des cafés rive droite, quelque part entre le Marais et la gare de l’Est.

Figure masculine incontournable, Duris sait ainsi rester discret, ne trustant pas les plateaux de télévision et jouant avec son image à l’envie. Toujours mal rasé, rarement coiffé, habillé parfois de façon excentrique, mais impeccable en costume cintré, il s’amuse des codes parisiens, et les détourne allégrement pour se créer une silhouette bohème. Sans craindre de casser son image, l’acteur ose même bijoux et chapeaux improbables dans ses tenues, dans un sens du style très personnel, c’est-à-dire très réussi. Les critiques cinéma l’aiment, les journalistes de mode aussi, et l’almanach de Monsieur London tout autant.