« L'homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot. »
Peut-on vivre en dehors de la mode ? Dans un podcast récemment publié sur l’excellent blog de l’Institut français de la Mode, “Le bleu est à la mode cette année”, l’historienne Anne Kratz décrit celle-ci comme étant « normative », et « impérative ». C’est-à-dire que non contente de fixer la règle, la mode sanctionne ceux qui s’en écartent. Une définition intéressante, qui nous a donné envie de prolonger la réflexion sur notre Almanach, en l’appliquant notamment au petit milieu de l’élégance masculine.
Car il n’y a pas une seule mode. Se mêlant aux sous cultures, celle-ci se divise selon les époques, les influences, les groupes sociaux et les affinités artistiques, musicales ou politiques. Les mouvements de société entrainent les modes, et les modes entrainent les mouvements de société. C’est ainsi depuis la nuit des temps, et le monde moderne, en encourageant l’expression individuelle et la singularisation, n’a fait que renforcer l’émergence de modes multiples, toutes exprimant un univers différent.
Or il nous semble qu’une règle supplémentaire s’applique à la définition d’Anne Kratz : la mode est en effet impérative, mais la force de cet impératif est inversement proportionnelle au nombre de suiveurs d’une mode. C’est-à-dire qu’une mode globale, partagée par des millions de personnes, sera régie par des règles moins strictes qu’une mode confinée à des cercles restreints, et donc forcément élitiste. En se faisant moyen d’expression immédiat d’une sous culture, la mode en devient son emblème, et doit donc rester « pure ». Non dénaturée.
Plus petite est la mode, plus dure en sont les règles. Dans le milieu restreint de l’élégance masculine classique, que l’on définisse celui-ci comme sartoriale, chap ou dandy, cette formule prend tout son sens. Pas un jour sans qu’un anathème ne soit jeté sur telle ou telle pratique hétérodoxe et autres entorses aux règles d’élégance. Dans un milieu qui vénère comme référence absolue les principes édictés par des aristocrates anglais il y a plus d’un siècle en fonction d’un mode de vie disparue, toute sortie de la voie royale peut vous valoir l’excommunication sartoriale. Internet regorge d’ailleurs désormais de grands mamamouchis autoproclamés de l’élégance, malpolis capables de vous prédire les foudres des dieux du style du haut de leur blog, vous vouant aux gémonies sur les forums avant de retourner à une triste vie de rituels codifiés.
Certains dandys se prennent désormais très au sérieux, sans se rendre compte qu'ils tuent ainsi l’essence même de leur style. Prenons ainsi le délicieux magazine « The Chap », que nous avons le plaisir de distribuer dans notre boutique londonienne. Pourtant fondée sur les principes de « L’anarcho Dandyisme », cette revue a vu naitre autour d’elle des communautés de suiveurs prêts à s’écharper sur la définition d’un tweed, oubliant la nature profondément amusée de la démarche de la revue fondée par Gustav Temple. Ou comment prendre au sérieux une pochade de génie, et oublier que dans « Anarcho-dandyisme », l’anarchie passe première.
Prêts à vous fusiller pour un bouton fermé quand il en fallait un ouvert, et vice et versa, les nouveaux censeurs de l’élégance masculine vous toisent désormais du haut de leur moustache avec morgue, en oubliant la nature profondément drôle et subversive de porter un trois pièces et un nœud papillon cousu main à l’époque des survêtements produits en masse au Bangladesh. Les erreurs de style ne les font pas rire, et ils préfèreraient être crucifiés à coups d’épingles de tailleur que de serrer la main à un jeune homme portant des chaussettes blanches avec ses souliers noirs.
Nous revendiquons au contraire chez Monsieur London le droit à l’erreur, la possibilité d’innover, et la joie de l’à peu près. La mode n’est que le parent pauvre de l’élégance - intemporelle - et ses chiens de garde sont des abrutis, même si leurs chaussures sont mieux cirées que les vôtres. L’un de nos amis, un Dandy d’exception, se peint les ongles de pieds chaque année avec une nouvelle couleur, pratique qui ferait surement bondir nombre des grands prêtres de l’infaillibilité sartoriale. Des pauvres gens, condamnées pour l’éternité à illustrer la phrase de Balzac : « L'homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot. »
Valentin Goux.
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