L’artisanat, plus qu’un luxe.

Couture d'une cravateCommençons d’abord par avouer une erreur… Rien de tragique bien entendu, mais nous étions passés à côté du dernier numéro de « Mode de recherche », revue éditée par l’Institut Français de la Mode. Si ce n’était grâce à l’application « le Monde » de notre téléphone, qui indexe notamment les blogs hébergés par le grand quotidien du soir, dont celui de l’IFM, nous n’aurions pas pu nous plonger dans ces pages passionnantes, ni vous livrer nos propres réflexions sur le sujet. Car après un an de travail pour promouvoir l’artisanat, il va sans dire que nous avons eu le temps d’étudier la chose !

Sans avoir la prétention d’apporter un supplément d’informations à cette savante revue, bien construite et superbement documentée, nous nous contenterons donc d’apporter notre modeste pierre à l’édifice du fait main, expliquant ainsi nos choix entrepreneuriaux, et leur sens.  Car que l’on ne s’y trompe pas, décider de privilégier l’artisanat au sein d’une démarche commerciale relève bien d’un choix majeur pour la stratégie d’une entreprise. Il ne s’agit pas là d’un quelconque effet de style, ni d’un « social washing » agissant pour donner l’illusion au consommateur d’un achat à valeur humaine ajoutée.

Choisir de travailler avec des fournisseurs pratiquant au maximum des méthodes artisanales, ou même des techniques traditionnelles au sein d’entités manufacturières plus large, coûte de l’argent. Une ressource qui est souvent la plus difficile à trouver pour une jeune entreprise, surtout en pleine crise financière et dans un environnement bancaire accro aux produits financiers complexes mais frileux à la finance de l’économie réelle.  Ainsi, la différence entre une cravate cousue à la machine et une autre cousue main, toutes les deux fabriquées dans le même tissu, avec la même doublure, la même forme et la même taille, peut atteindre plus de 30% du prix d’achat. Une différence qui se répercute sur les prix de vente, tout en ayant conscience que ceux-ci restent plafonnées par les habitudes de consommateurs élevées aux grandes enseignes de prêt à porter. Reste alors à opérer un choix drastique entre pratiquer des marges réduites, ou se positionner comme une marque de luxe, opération difficile pour une jeune marque présente sur Internet, et ne correspondant pas forcément à l’image souhaitée, en tout cas pas par nous.

Car au fond, et ce nonobstant le galvaudage même du terme de « luxe », se placer sous le patronage de cette image facile reviendrait à accepter une dérive contraire aux principes fondateurs de notre entreprise.  Celle qui consiste à voire dans le grand public une masse de consommateurs de produits mal créés, mal finis et à la durée de vie courte, écologiquement et socialement irresponsables, et dans une petite élite mondialisée les heureux possesseurs d’accessoires de qualité, créés pour eux par d’autres membres de leurs monde.

Alors pourquoi proposer à nos clients des produits créés de façon artisanale ? Par conviction d’abord, et par plaisir ensuite. Nous  croyons, à l’inverse des présupposés des pratiques actuelles du luxe, qui veulent que même les lignes « accessible » des grandes maisons soient désormais produites en masse pour répondre à la demande du haut du panier financier de la classe moyenne, que l’artisanat doit s’adresser à tous. Que mieux que les méthodes de production industrielles, il sait répondre aux défis écologiques et sociaux posés par la surconsommation de notre époque.   Que dans un monde aux produits à temps de vie réduits par l’obsolescence programmée, il est capital de revenir à d’autres modes de consommation.  

Mais l’idéal ne fait pas tout. En un temps ou le grisâtre de l’ « open space » et du sandwich avalé devant son ordinateur est à l’honneur, nous avons choisi nous consacrer à une démarche entrepreneuriale centrée autour d’autres valeurs, dont le plaisir n’est pas la dernière. L’hédonisme n’est pas réservé aux grands vins, et si chacun peut aujourd’hui déguster une bouteille produite de façon naturelle par un petit vigneron amoureux de son métier, il n’y a pas de raison que le monde de la mode soit étranger à cette évolution.  Il ne s’agit pas moins que de retrouver l’usage de nos sens, et de réapprendre à sentir ou à toucher. Qui dira l’odeur enivrante d’un atelier de menuiserie, le grain dans la découpe d’une peau, la débauche de couleurs d’un catalogue de tissus ? Si les habitudes de consommation des « bobos » des grands centres urbains ont ouvert la voie à un retour de l’agriculture de proximité et à une pérennisation des marchés, il semble probable que la mode, ou tout du moins une partie d’entre elle suivra le même chemin, sans pour autant verser dans le passéisme.

Car comme le rappelle avec justesse la revue de l’IFM que nous citions au début de cet article, « le savoir-faire manuel et les avancées technologiques sont liés depuis fort longtemps et rien ne justifie qu’on les dissocie à présent.  » Il ne s’agit donc pas de vanter un modèle médiéval ou d’enfiler des perles sur la beauté du travail manuel, mais de reconnaître la place de l’artisan, et sa nécessité.  Ce qui pourrait aussi avoir comme conséquence non négligeable de cesser l’entassement stupide de générations de futurs chômeurs sur les bancs de l’université ou des écoles de commerce, où de pauvres étudiants issus d’un système obsédé par le secteur tertiaire en général et les machines à produire du vent en particulier attendent sagement d’aller pointer au pôle emploi. Mais cela est encore un autre sujet. 


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