Histoire de l'élégance aux sports d'hiver...
L'hiver s'achève et vous déprimez sous la pluie, à peine rassenérés par la perspective de ressortir vos trois pièces en laine du placard et de porter des beaux manteaux bien épais. Le temps vous plombe, surtout si vous vivez, comme c'est notre cas, à Paris. Nous, vous nous connaissez, on est plutôt du genre sympa. Vous voir dans un état pareil nous navre, et on s’est dit qu’on allait vous faire voyager un peu, dans l’espace et dans le temps, histoire d’étudier un peu l’élégance aux sports d’hiver. Et de se replonger par la même occasion dans une époque où la France raflait les médailles, finissant 3e aux JO d'hiver de Grenoble en 1968, 5e à Innsbruck en 1964, et 5e encore deux fois à St Moritz en 1948 et 1928.
Affiche de la compagnie de train Paris Lyon Méditerrannée, début du XXe siècle.
St Moritz. C’est d’ailleurs un peu là que tout a commencé, avec Chamonix, où ont lieu les premiers JO d’hiver, en 1924. A la fin du XIXe siècle, sur des montagnes encore vierges de téléphériques, de baraques à vin chaud et de touristes russes, les deux stations font figures de précurseurs pour la Suisse et la France. Le ski semble alors une incongruité amusante, fantaisie norvégienne servant à divertir les clients des hôtels du coin. Mais l’engouement prend très vite, et les premiers clubs français ouvrent en 1896. 12 ans plus tard, le roi des sports d’hiver s’est exporté dans le monde entier. Un succès quasi instantané. En France, l’intérêt est avant tout commercial : avec le développement du chemin de fer et les concessions accordées à la compagnie PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) pour les ouvertures de nouvelles lignes dans les alpes, il faut accroitre le flux touristique. En 1901 la ligne le Fayet – Chamonix est inaugurée, ouvrant la voie au développement des sports d’hiver. Les célèbres affiches PLM faisant leur promotion débarquent dans les rues de Paris, et la Côte d’Azur cesse petit à petit d’être la destination unique de la bourgeoisie pour les mois d’hiver.
Des skieurs au début du XXe siècle
A l’époque, les savoyards comme les touristes font du ski habillés comme s’ils allaient se balader en forêt par un matin de Noël. Une bonne veste en toile de laine épaisse, façon tweed ou loden, des gants en cuir fourrés, un chapeau en bon feutre artisanal de mouton, un gros pull, une cravate et un pantalon en velours côtelé font en général l’affaire. Certes, on n’en n’est pas encore aux vêtements imperméables, et mieux vaut éviter de trop tomber dans la poudreuse si l’on souhaite rester sec. Mais personne n’en est encore à descendre des pistes noires, et tout le monde en profite pour découvrir les bienfaits du vin chaud.
Un concours de ski dans le Jura, autour de 1900.
Les années 30 voient les débuts des vêtements consacrés à la pratique sportive hivernale en montagne. L’époque est d’ailleurs à l’encouragement des activités de plein air. Ce qui sera bientôt rendu possible par les accords de Matignon, qui introduisent la seconde journée de repos hebdomadaire et les premiers congés payés. Mais à l’exception notable des locaux, les sports d’hiver ne concernent encore que les classes sociales les plus riches, qui ont seules les moyens de partir en vacances aussi loin.
Les collections parisiennes pour les sports d'hiver, 1933.
Logiquement, les grandes maisons de couture s’intéressent désormais elles aussi au sujet, sur les traces d’Elsa Schiaparelli qui a ouvert en 1927 la boutique « Pour le sport », rue de la Paix. Les gazettes parisiennes, dont Vogue ou le Petit écho de la mode, popularisent bientôt les collections hivernales des créateurs français. Celles d’Elsa Schiaparelli bien entendu, mais aussi de la maison Hermès, de Marcel Rochas ou de Jean Patou. Précurseur du « sportswear » lui aussi, ce dernier dessine déjà depuis 1920 les tenues de la championne de tennis Suzanne Lenglen. Mais l’ensemble de ces vêtements, malgré une esthétique travaillée, ont encore un design peu adapté à la pratique sportive. Alors que les compétitions de ski se développent dans les alpes, la nécessité d’un costume dédié à cette discipline se fait désormais sentir. Comme souvent, la solution viendra des habitants du cru.
Manteau Hermès inspiré des burnous nord africain, et "skijump" Vogue, 1938.
En 1930, Armand Allard, un jeune tailleur installé à Megève depuis quatre ans invente « le fuseau », un pantalon technique porté près du corps et terminé par une attache élastique sous le pied. Sept ans plus tard, en 1937, l’enfant du pays Emile Allais porte cette trouvaille lors des championnats du monde de ski alpin, qu’il remporte. Le fuseau fait le tour du monde, remplaçant les pantalons type knickerbocker que portaient auparavant les hommes sur les pistes. L’année précédente, le film de Marcel Ichac « Poursuites blanches » a définitivement créé le mythe des « vacances à la montagne » aux quatre coins de la France du front populaire.
Emile Allais, champion du monde de ski alpin, 1937.
Les sports d’hiver reprennent de plus belle et se popularisent après la guerre, poussés par les progrès technique de l’époque. L’ingénieur français d’origine polonaise Jean Pomagalski a ainsi créé quelques années auparavant à l’alpe d’Huez son premier prototype de téléski, et va développer la mécanisation des stations de sports d’hiver avec sa société Poma dans les décennies suivantes. Celle-ci rend le ski accessible à tous, poussant les entreprises d’équipement et de vêtements sportifs à s’adapter. La société Heschung, toujours bien connu aujourd’hui des amateurs de beaux souliers, créée dans les années 50 les premières chaussures de descente en cuir imperméable, en utilisant le cousu norvégien.
Jean Claude Killy, champion Olympique à Grenoble en 1968.
L’équipe française de ski alpin portera notamment les créations de la marque alsacienne lors des JO de Grenoble, remportant 8 médailles, dont 3 en or pour Jean Claude Killy, qui devient le héros des derniers mois de la France Gaullienne. La société Moncler fait son apparition sur les pistes en sponsorisant elle aussi l’équipe de France la même année, l’équipant des anoraks qu’elle commercialise depuis un peu plus d’une dizaine d’années, et destinée à l’origine aux alpinistes. Il faut dire que depuis l’ascension de l’Anapurna par Maurice Herzog en 1950, l’exploration des grands massifs est la grande aventure du moment, et les français s’arrachent les livres de Frison Roche.
Les bronzés font du ski, ou l'horreur visuelle sur fond blanc.
De retour au chalet, les messieurs portent encore à l’époque de beaux costumes un peu large en alpaga, du tweed, des chapeaux et de gros pulls en laine. Mais l’arrivée massive du synthétique, et l’invention de la doudoune par Moncler, dans les années suivantes, vont tout perturber. Le style alpin devient bientôt criard, à mesure que les montagnes européennes sont gagnés par le désormais tout puissant tourisme de masse et les paysages défigurés par les barres de bétons. En 1979, les bronzés font du ski immortalisent le règne de la beaufitude montagneuse et des combinaisons intégrales de couleur fluo. Tout semble foutre le camp au pays des bouquetins. En 1977, dans « l’espion qui m’aimait », même sir Roger Moore a l’air d’un con dans sa combinaison jaune, bonnet rouge vissé sur la tête. Un comble.
Roger Moore dans l'espion qui m'aimait. Dans les années 70, même James Bond a l'air d'un con.
Il faudra attendre la fin des années 90, et l’introduction d’une forte influence streetwear dans les vêtements de montagne pour revenir à un peu moins de ridicule. C’est l’époque de la popularisation du snowboard, des X-Games et de la construction des Halfpipe dans les stations. Candide Thovex est le héros d’une jeune génération de skieurs nourris aux clips de sport extrême, qui importent les codes des cultures urbaines dans les stations de montagne. Quelques années plus tard, en 2019, un peu de sobriété vestimentaire semble être revenu sur les pistes, malgré les efforts désespérés des porteurs de bonnet à pompons multiples et autres conducteurs d’engins dangereux.
Valentin Goux.
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